Ecritures

Carnet de bord - une petite souris
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6 - Février 2014 - L'écriture d'un scénario

24/03/2014

Je décide de prendre au sérieux l’écriture de ce scénario. J’ai du temps devant moi, et j’ai un bouquin, l’anatomie du scénario de Mr John Truby que j’ai ouvert jadis, mais qui m’avait paru abscond sans idée d’histoire préalable. Je commence un mi-temps « scénariste ». Je décide de passer la moitié de mes journées sur une chaise, un tas de feuilles posées sur le bureau et le livre à côté. Derrière moi, il y a deux souris dans une petite cage. Je vous raconterai.

 

Mr Truby donne une méthode organique pour écrire un scénario. Voici quelques éléments clefs. 

  • Un héros avec un objectif. il va mener l'action pendant toute l'histoire. 
  • Ce héros a des points faibles, et c'est là dedans que vont taper ses adversaires. 
  • Ses adversaires qui ne sont pas les "méchants", mais à qui l'objectif que le héros cherche à atteindre pose problème. 
  • Des alliés qui vont aider le héros dans sa quête. 
  • Et des personnages qui évoluent : les alliés peuvent devenir adversaires et vice versa. 

Ce n'est donc pas une recette : c'est bien une méthode. 

 

Je suis un étudiant appliqué.

Je lis un chapitre. Je note les idées pour les scénarios. 

Je lis un chapitre. Je note les idées pour les scénarios.

Je lis un chapitre. Je noircis quinze pages d'idées pour le scénario. Je comprends mieux l'aspect organique de la méthode : c'est comme si chaque point sur lequel j'ai travaillé était une graine, qu'à force de réfléchir des plantes avaient poussé et qu'elles se rejoignaient maintenant.

 

Les personnages répondent les uns aux autres. Ils évoluent ensemble. Le monde des souris prend une coloration particulière. Ce monde que je crée de toutes pièces reçoit de nombreux éléments. Prend de l'ampleur et de la cohérence. L’histoire raconte quelque chose de profond. Quelque chose qui me touche. 

Vu de loin, on pourrait croire que j'écris mon testament : penché sur une feuille, des larmes coulent. Et puis j'éclate de rire. Le mélange d'émotions est assez osé. 

 

Les vannes se sont ouvertes, celles de mes yeux comme celle de mes idées : j’ai longtemps cherché ce moment, je n'étais pas sur qu'il existât (un petit passé simple pour la route). Je comprends le plaisir des chercheurs d’or noir quand ils découvrent un gisement. Ca part très haut dans les airs. Et après ça colle les plumes des oiseaux. Toutes les métaphores ne sont pas bonnes à prendre.

 

Je m’accorde une pause après 8 ou 9 heures de travail. De plaisir.

 

Une vraie bonne pause. Un vrai bon repas avec un vrai bon colocataire. Nous regardons Hot Shots : le scénario me saute aux yeux. Derrière toutes ces bêtises, comme chasser les feuilles mortes sur un porte avion, l’anatomiste que je deviens voit un scénario. Il est efficace. Je suis touché par Hot Shots. Il faut dire que depuis que nous nous sommes posés dans les fauteuils, je suis devenu sensible.

 

Et sensible je le suis resté. Il y a une forme d’agitation très particulière dans mon cerveau. Je l’ai déjà rencontrée il y a presque 10 ans quand j'ai commencé à regarder mes rêves, et quand mes rêves m'ont regardé droit dans les yeux. Il y a une vie, là, tout au fond. Une vie qui m’incite à cet instant à regarder mon scénario depuis ma vision sensible. Depuis ma vision d’hélicoptère. 

Depuis ma sensibilité, je vois ce que j’ai accouché : un récit de libération, une catharsis. Tous les personnages sont des instances de moi. Il y a l'ingénieur bourrin, l'artiste enfermé, le grand chef, le peuple massacré, la femme qui prend soin des âmes prisonnières, etc.

 

Le récit prend une autre saveur. Les symboles dansent sous mes yeux. Je ressens cette vie à l’intérieur qui me dit « ben ouai mec » en riant, en sautant, en faisant la roue.

Dans ma maison intérieure, j’ai enfin ouvert la cave. Ca commençait à sentir le renfermé.

5 - Février 2014 - Les vieux travers

23/03/2014

Mon histoire se précise, les personnages s’agrègent. Je construis une rivalité intéressante basée sur des problèmes d’enfants. Je m'amuse à écrire, enfin. J'écris des scènes touchantes. J'y prends du plaisir. Je n'ai pas envie de faire un plan tout de suite, non. J'ai envie de m'amuser, de gambader dans cet espace de créativité tout neuf. 

 

Lors de l’atelier suivant, j’explique que je vais lire un morceau de l’histoire qui intervient à peu près au milieu. Je dis poser des pierres pour paver mon histoire. De l'autre côté de la table, l’ostéopathe m’a vu.

- Es-tu au clair sur le pitch et le scénario ?

- Sur le pitch oui. Le scénario évolue.

- Il faut que tu écrives un scénario, sinon tu risques de te perdre. Il faut que tu poses les rails dans ton histoire. 

Ou encore, il faut tenir la bride du cheval de la créativité. Il me l'avait déjà dit lors du premier atelier d'écriture. Je sens que je suis un piètre dresseur, mais ce type de jugement ne sert à rien. Se donner des coups de fouets n'aide pas à avancer. Je sens qu'il a raison mais une question me brûle les lèvres, entre autres. 

 

- Oui mais, si j’ai de nouvelles idées après. Comment je fais pour les intégrer dans un scénario figé ?

- Tu écris une autre histoire. Tu sais, la créativité ne s’arrête pas à l’écriture du scénario. Tu pourras trouver ta place dans l’écriture de l’histoire aussi.

 

Je lui explique avoir déjà essayé, et que ça n’a pas marché parce que je n’étais pas content de mon scénario. Il me donne le même conseil : écris ton scénario. Pose les rails de ton histoire.

 

Je suis énervé. J’ai toujours détesté les gens qui ont raison. 

Je discute avec Adrien au retour. Toujours en colère contre moi. Je sais que j'ai tendance à faire ça. Je dois arrêter, voilà tout. Je dois faire ce que me conseille Benoît. Je dois écrire ce putain de scénario au risque de me perdre à nouveau. Au risque de revivre le cuisant échec de l'atelier n°1. 

 

Nous abordons peut être John Truby dans la voiture. Adrien et moi avons acheté son bouquin. Le mien prend la poussière sur l'étagère. Je vais le sortir de l'ombre. 

4 - Janvier 2014 - L'ostéopathe de l'écriture

22/03/2014

Je suis bloqué sur un projet que j'ai envie de mener à bien. 

Bordel de merde, et pardon pour les gros mots putain. 

 

Adrien, ami de l’atelier d’écriture m’explique qu’il va reprendre un atelier pour écrire une histoire qui lui tient à cœur. Ca me parle tout de suite. Je me renseigne. La date ne va pas arranger tout le monde... Heureusement, j’ai une psy qui m’a appris à être égoïste. « Si tu vas manger avec elle alors que ta volonté profonde c’est d’avancer sur cette histoire, tu vas manger un repas empoisonné. Et tu vas tout faire pour massacrer la soirée. » Voilà ce qu'elle aurait pu me dire. 

 

Je prends mon courage à deux mains. Ma plume à une seule. Je prends mon histoire sous le bras et rejoint de nouveau Benoit Coppée à l’atelier de Schaerbeek.

Benoit Coppée, l’ostéopathe de l’écriture. J’étais bloqué. Il me manipule doucement et d’un coup, crac. Ca coupe la souffle. Ca ne fait pas toujours du bien. Mais c’est efficace.

 

Lors du premier atelier, il m’explique que mon histoire est trop complexe. J’ai trois tomes d’après lui. Le premier doit s’arrêter au moment où… non ? Vous voulez pas savoir ? Bon. J’ai trois tomes. Il faut que je découpe mon histoire. Je lui explique ma difficulté : je suis parti sur des aspects techniques de la collecte de dents.

 

Il me répond avec cette infinie douceur qui le caractérise : « Parler des souris, c’est un excellent moyen de parler des humains. Va vers leurs sentiments, leurs émotions. Il nous manque de bons auteurs pour parler des émotions. »

Et c'est vrai qu'il y a une voix là dedans. Mon pitch rassemble quelques éléments intéressants. La relation père fils entre autres. Ce n'est pas le seul. A me concentrer sur le côté technique du ramassage des dents, j'en ai oublié la raison qui fait que les écrivains écrivent : parler de ce qui leur tient à coeur. 

Non, ce n'est pas facile quand on a un coeur d'ingénieur qui fonctionne en just in time. 

 

Mais en dessous de celui là, il y a l'autre. Celui de chair, de veines, de ventricules et d'autres machins dont j'ai oublié le nom. 

J'ai voulu passer en force pour mon histoire ; mais "cela", on ne le force pas. Jamais. 

 

C’est mon premier saut en auteur. 

Ma raison accepte enfin qu'elle n'est pas seule en la demeure. Et qu'elle a grand besoin des émotions pour écrire. 

C'est le premier craquement dans la colonne vertébrale de l'histoire.  

3 - Novembre - Décembre 2013 - Le mur du çon

21/03/2014

Je continue à écrire.

 

Je fais un peu avancer mon personnage, j’imagine quelques scènes et je me retrouve vite confronté à un problème qui me semble insoluble : comment faire avancer ce schmilblick. Je m’oriente vers les améliorations techniques dans l’histoire. Pourquoi ? Parce que je suis ingénieur sans doute. Et parce que penser à la technique évite de penser à tout le reste : aux valeurs, aux sentiments, au sexe, à la violence.

 

C'est un constat qui est facile a posteriori. Sur le coup, je n'ai pas la moindre idée de ce qui est en train de se passer. J'ai l'intuition que quelque chose cloche, et c'est très désagréable. J'ai envie de la balayer d'un revers de la main. Je le fais parfois. Mais cette impression est tenace. Elle revient. 

Ca m'est arrivé pour pleins d'autres choses, dans des situations très différentes telle qu'une relation, le boulot, etc. Cette petite voix ne se tait pas tant que je n'écoute pas ce qu'elle a à dire. 

 

Je refuse donc de me l’avouer d’abord, mais je peine en fait. Je sens que je m’enlise petit à petit dans une histoire qui me tient à cœur. Et quand j’en discute, je ne me sens pas bien : oui, bien sur que j’aimerais avancer, bien sur que cette histoire me plait. Mais je ne sais pas trop comment, je suis obligé de m’en rendre compte.

Les deux ateliers d’écriture que j’ai suivi jusqu’alors ne m’ont pas donné les clefs. Ou alors je les ai perdues. Cassées. Emoussées. Je m'étais complètement perdu dans mon histoire au premier atelier d'écriture. Je n'avais pas su cristalliser un pitch, une intrigue. Je n'avais fait qu'un assemblage de scènes disparates. Le second atelier était plus cadré : le pitch était donné. Ma créativité était mieux canalysée et, après quelques mois d'effort, j'avais réussi à produire un texte dont j'étais satisfait. 

 

Au moment de noël, je ressens ma gène très fort. Ma copine d’alors (si elle avait été maire, elle aurait été le maire d'alors) me dit que j’ai peu écrit. Elle a raison. J’ai fait une nouvelle rigolote pour un concours, parce que c’est bien plus facile. Ca m'a fait du bien sur le coup.

Ensuite, je discute avec mes parents et je ressens très fort le mur de l’écriture que je ne parviens pas à franchir. Et pourtant, Dieu sait que je force : j’essaie de faire un plan puis d’écrire mais à chaque fois je ne suis pas satisfait par mon plan. Mon écriture vient le modifier complètement. Je force et je me fatigue. Je me décourage un peu. 

J'aigris. J'ai envie que ça marche. 

 

Dieu sait que je force.

Dieu sait aussi que ce n’est pas un mur qu’on franchit en forçant.

Dieu n’est pas le seul à le savoir.

Dieu merci. 

2 - Octobre 2013 - Origines de l'histoire

20/03/2014

Octobre 2013. Katmandou. Dernière journée de voyage.

 

Je viens d'enchainer quinze heures dans un bus aussi bondé que chaotique et une journée de shopping à Katmandou. Katmandou : ville bondée et chaotique. Après un repas dans un resto très occidental, et pas mauvais, je rentre dans mon hotel de riche. J’ai accepté de débourser 20€ pour une nuit. C’est énorme. J’avais besoin de confort. Quinze heures dans un bus au rembourrage inexistant, ça use le siège. Surtout quand les routes sont pavées d’ornières. Ma tête a tapé une dizaine de fois l’armature du siège de devant ou la fenêtre. Je suis arrivé usé. J’ai investi dans mon confort.

 

Plus tôt dans mes périgrinations, j’ai rencontré un vieil Anglais sympathique. C’était à Pokara. Je venais de me taper une belle ascencion en vélo. J’étais crevé. Pas le vélo. Je me suis arrêté pour manger dans un petit restaurant. Après avoir réprimé une grimace de dégoût, la patronne m’a indiqué la terrasse, là haut.

Là haut, il y avait ce vieil Anglais torse nu s’adonnant à ses deux loisirs de prédilection. La peinture. Et fumer une pipe remplie de Haschich. Nous avons discuté longuement. C’était un personnage qui aurait eu sa place dans un roman. Peut être un jour… Il m’a fait penser au vieux marrant de Children of men. Mr « Pull my finger ». Un mutant à l’énergie dense pour reprendre l’expression de Las Vegas Parano. Un vieux hippie aux dents pourries pour d'autres. 

 

Longue discussion donc sur nos vies un peu, nos vies d’occidentaux et celles d’ici. Il vient d’arriver, cherche une résidence. Il a un ami qui veut produire des poêles à bois localement pour permettre des économies de bois et une petite production d’énergie. Bientôt le Népal prendra soin de ses forêts grâce à lui. Et tous ses citoyens pourront regarder la ligue des champions grâce au courant.

Fumer la pipe après 3 heures de vélo est agréable. Au dessus de moi, des dizaines de parapentes poursuivent leur éternelle parade diurne. Diurne, anagramme de d’urine. Aucun d’eux ne fait de blague de cet accabite, haha, malgré leur position dominante.

En partant, l’Anglais me fait un cadeau : deux petits bouts de shit et une pipe. Une pipe en bois hein. Pour fumer le shit.

10 jours plus tard, retour à Katmandou. Nuit de merde dans le bus. Hôtel de riche. Je retrouve dans mes affaires les morceaux de shit. Hum. Je prends l’avion demain, hors de question de prendre ça à l’aéroport. Et puis j’ai horreur du gaspillage. Je me roulerai donc trois petits joints. Comme d’habitude, cela modifiera un peu ma perception des choses. Je deviendrai plus sensible. Plus ouvert. Et beaucoup moins capable de tenir une conversation cohérente ou de me souvenir de la pensée que j’ai eu il y a deux secondes.

Merde, qu’est-ce que je disais ?

 

Ah oui, plus sensible.

Plus sensible au reportage sur les postures du corps humain qui explique les pratiques d’un médecin Chinois. Il guérit les maux de dos, de cou et de tête, alouette, en apprenant aux gens à se tenir droit, tout simplement. Renforcement de la ceinture abdominale, des muscles dorsaux, etc. Les résultats sont aussi impressionnants que les blocages des gens au départ du traitement. Je m’étire allongé sur la moquette en regardant ça. Je nettoie les restes de courbature d’une nuit mouvementée.

Sensible aussi au reportage sur l’exploitation d’Africains dans des exploitations (la répétition est voulue, merci) agricoles du centre de l’Italie. Vers la voute plantaire de la botte à peu près. Les uns se font prendre leur papier en arrivant, et les autres profitent de leur situation. Ils humilient ces Africains venus là pour gagner quelques sous avec salaire de misère, horaires fous, dortoirs précaires pour lesquels les Africains doivent reverser une partie de leur pognon. Idem pour les sandwichs du midi. 

Sensible à la suite du reportage où les mêmes mécanismes humains sont montrés sur un bateau de pêche. L’africain qui témoigne s’est fait tabasser. Laissé pour mort. L’envie et l’humanité sont sur un bateau. L’humanité tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui reste en vie ? L’envie.

 

Mon éternel carnet dans les mains, je pense à la petite souris. Aux petites souris en fait : c’est quand même incroyable de penser qu’une seule souris fait tout le boulot. Il doit s’agir d’un peuple. Un peuple entier dévoué à la cause de la collecte des petites dents sous les oreillers qu’elles remplacent par des petites pièces. Sous les oreillers aussi.

Une souris là dedans souhaiterait modifier le système. L’améliorer. Pour gagner plus de pognon. Elle remplacerait les pièces de 2€ par des pièces de quelques centimes. Elle ferait sa place là dedans ; elle évoluerait comme on veut tous le faire. Tous ? Non, car une partie de la population résiste fièrement à l’envahisseur.

 

J’ai quelques idées de scènes qui s’enchainent (pas facile à prononcer ce bazar). Je parviens miraculeusement à les noter. Je crois à cette idée, aidé par ma sensibilité réveillée. Le thème est amusant. Pourquoi pas ? Je continue à noter mes idées, et je termine consciencieusement de fumer tout ce que je peux. Gaspiller est un pêché mortel. 

 

Le lendemain, je casse la carte mémoire de mon téléphone en essayant de le réparer. J’ai senti la connerie arriver depuis le fond de mon cerveau brumeux. Je l’ai senti. Je suis très content : j’avais raison. Dommage que je n’ai pas écouté. Une mémoire artificielle meure avec des centaines de photo à son bord.

 

Une histoire de souris demeure. 

Un embryon d'histoire.