Ecritures

Marathon de Paris 1 – La traversée

08/04/2014

Je ne sais pas pourquoi j’arrive à Paris aussi à l’arrache. J’avais l’impression d’être plutôt organisé ces derniers temps, d’être d’avantage à l’heure depuis que je n’avais plus aucune obligation. Mais ce coup-ci, le week end commence mal.

 

Il est l’heure de partir choper un bus pour prendre mon covoiturage. Le mec sur l’annonce a écrit « départ à l’heure pile ». L’appli de la Stib me dit « prochain bus dans 45 minutes ». Mon cerveau dit « wtf ». Oui, il parle Anglais aussi.

 

Quelle est donc la cause de ce bazar m’interroge-je, et c’est vraiment très dur à prononcer. La raison ? Une énorme manifestation qui rassemble 40 000 personnes. Devant les institutions européennes. Des mécontents européens qui sont venus faire entendre leur voix contre la rigueur. Mon bus est bloqué parce que l’Europe l’est aussi. Je réfléchis à une solution. Pour rallier mon covoiturage. Et à une autre pour sauver l’Europe aussi. Certains diront que je suis orgueilleux, mais qu’on ne vienne pas dire que je suis égoïste. Ah ça non !

 

Deux minutes plus tard, je chevauche fièrement un villo, un v-lib Bruxellois, un vélo communautaire qui permet d’effectuer des trajets à sens unique, chose que permet difficilement un vélo personnel. Je me vois mal laisser mon splendide batmobike abandonné contre un poteau, figure dramatique du clébard mal aimé lors d’un départ en vacances.

 

Mon batmobike mérite son nom :

  • noir et bleu foncé, tout en carbone (comme le pharaone).
  • En plus, quand ils le voient, les chauves sourient. Ouark ouark.

 

Je suis pris au milieu du trafic généré par l’inadéquation de la voiture personnelle généralisée et les artères principales bouchées par des caillots de manifestants. Le système routier Bruxellois fait un AVC. Les gouttes de sang s’impatientent, s’énervent. Elles jouent du coude à coude, du rétro à rétro, du parechoc à portière pour gagner une seule, une petite, une minuscule place. Nous avons tous envie d’avancer, de dépasser nos difficultés.

Certains choisissent les mauvais moyens.

Les couillons.

 

J’ai pris un villo et je me faufile presque agilement malgré la masse de la bête. Je me souviens du Népal alors : la pollution de Katmandou et le bordel ambiant d'un côté, la balade à dos d’éléphant au milieu de la brousse de l'autre. Un véhicule massif et réconfortant. La ville est une jungle dont l’absence de fluidité pompe mon sang à la manière de ces infâmes sangsues, bestioles archaïques et résistantes qui m’avaient alors causé bien du tort.

Les rimes en or, j’adore.

Dior, beaucoup moins.

 

Mr Jean m’a passé deux coups de fil sur la route. C’est monsieur 4h pile. J’imagine que sa maman était stricte sur l’heure du goûter. Il ne voulait pas louper ses tartines. Alors, sans être homophobe, j’appuie sur les pédales. Quelle galère de naviguer dans ces flots de véhicules. 

NDLA : Le lecteur attentif aura noté l'utilisation de 3 mots du champ lexical marin. 

 

Arrivé à destination, je trouve finalement Mr Jean, un beau costar et des cheveux impeccablement coupés. La cinquantaine. Une allure qui impose le respect. Il sourit en me voyant : un villo, un gros sac, des gouttes de sueur qui montrent qu’effectivement j’ai mis du cœur à l’ouvrage avec les pédales, une barbe de 40 jours, 40 nuits aussi.

 

- Tu vas en faire quoi de ton villo ?

Je crois que j’ai répondu la deuxième voyelle de l’alphabet. « E ». J’ai encore perdu 10 minutes pour aller le déposer, à l’autre bout de Montgomery, le rond point de la mort pour qui chevauche une monture non carrossée. Mais je ne resterai pas sur le carreau. C’est une grande satisfaction.

NDLA : carossé apparait deux fois en rouge. On s'amuse hein ?

 

J’entre dans la C5 noire avec appréhension. Avec un tee shirt mouillé beaucoup moins sexy que celui que l’on peut trouver dans les campings aussi. Et il le sera encore moins, sexy, quand il aura mal séché, compressé contre un fauteuil en cuir qui l’oxygène ne laisse pas passer. Merci Yoda pour cette intervention.

 

Jean m’indique que sans la présence des 3 demoiselles de la voiture, il aurait été impitoyable. Il me donne deux indications intéressantes :

  • sa mère devait vraiment être stricte sur l’heure du goûter. 
  • Et il a une âme sensible, un cœur qui bat sous ce costar hors de prix. Un cœur qui bat, ça n’a pas de prix. Il avait d’ailleurs accepté de prendre mon sac pendant que j’allais accrocher le villo au point de centralisation qui permet l’apport et le dépôt de villo. 

 

Parenthèse villo au passage : La ville de Bruxelles est assez bien desservie, pourtant je regrette la présence unique de stations massives comportant une trentaine d’emplacements quand de petites stations de 4 à 8 villos permettraient un maillage bien plus efficace et une flexibilité accrue. Je vais d'ailleurs leur écrire. Et ce mail viendra alimenter une partie de ce site qui s'appellera "Lettres au système" et en sous titre "et à ceux qui le composent". 

 

C’est un trajet à sens unique vers Paris.

C’est un trajet unique.

Je ne l’aurai pas parié.

 

 

Jean est un commandant de bord incroyable.

Après une présentation digne de plus grandes compagnies aériennes, temps de vol estimé, conditions atmosphériques, température extérieure. L’absence de thermomètre interne, même si elle assure son confort, nous empêche de connaître sa température intérieure. Il indique le rituel de sa voiture : chacun se présentera à son tour, et les autres pourront poser des questions. Nous avons 4 heures de trajet à tuer.

Autant les faire vivre.

Nous commençons par votre serviteur.

 

J’explique que je ne me retrouve pas dans le système de la plupart des entreprises actuelles et qu’une chorale m’a ouvert les yeux sur le management participatif, que ce sont les mêmes personnes peu ou prou (des êtres humains avec leurs problèmes et leurs envies) qui œuvrent dans les deux organisations, et que les résultats (bien être de chacun, efficacité, durabilité) sont très différents.

Je raconte que je me suis révélé par l’écriture, que j’ai pu découvrir des choses enfouies (ah foui ? foui foui !), et qu’aujourd’hui je souhaite œuvrer pour ce qui me semble juste :

  • la psycho parce que j’ai fait l’expérience de la noirceur et du retour à la lumière. 
  • Le management participatif parce que les entreprises peuvent et doivent devenir des lieux d’épanouissement. 
  • Et enfin, la consommation durable parce que nous avons besoin de certains objets, certains outils qui sont des extensions de nos êtres, qui nous rendent capables de faire plus beau, plus harmonieux, plus numineux. Oui, c’est bien un « n ». Par contre, nous n’avons pas besoin de l’obsolescence programmée, et nous devons nous battre contre elle.

 

Nous devons nous organiser pour créer autre chose que cet immense sacrifice.

Et dans ce cas, l’organisation est ce qui permet.

Pas ce qui enferme.

 

Le ton est donné dans la voiture. Les demoiselles s'expriment.

 

Enfin vient le tour de Jean.

Derrière le costar, à nouveau, je sens le cœur battre. J’aurais juré que ce mec là, avec sa grosse bagnole, votait pour l’UMP. Putain... What do we know about people ? Je ne sais plus dans quel film j'ai entendu cette phrase très juste.

Il est très déçu par le système actuel qui place à sa tête ceux qui ne savent pas diriger, mais seulement communiquer. Comme la téléréalité.

 Quelle puissance de mettre dans le même panier Nabila et la plupart des politiques de haut rang. Et d'Alexandrie.

Un panier avec de très gros oeufs. 

Des oeufs pourris.

 

Il nous parle de sa passion pour Napoléon Bonaparte, de ses réalisations qui vont au delà de la mégalomonie d'un homme qui a vu trop grand. Il nous parle aussi d'une autre dame dont j’ai malheureusement oublié le nom. Il s’anime. Et quel bonheur c’est, pour le grand intuitif ignorant de l’histoire que je suis de rencontrer cet homme de détails et de précision qui alimente avec joie ma boulimie d’informations. Il a l’âge mon père, féru d’histoire également.

Les kilomètres défilent à des hauteurs stratosphériques, les pneus fermement ancrés sur le sol. Le masculin l’a quelque peu emporté dans ce véhicule, j’en suis navré mesdemoiselles, peut être la prochaine fois ne serez-vous pas aussi indulgentes avec les retardataires. Surtout ceux qui viennent en villo et risquent de puer du tee shirt.

 

L’homme est fait pour être au contact de la Nature lache Jean, fils d'agriculteur qui continue à oeuvrer pour une industrie en lien avec la terre : celle du sucre.

Nous arrivons alors à Paris. Des files de voitures encore, de nouveaux nuages de pollution. Loin de mon batmobike, nous voici plongé dans Gotham City. Hyper Gotham avec ses tours, ses routes qui tourbillonent au dessus de nos têtes et ses éternels klaxons, témoins criards et exsangues d’une humanité qui souffre.

D’une humanité qui plombe.

Qui particule.

Qui gesticule.

Sans bien savoir où aller.

 

Hyper Gotham à ne pas confondre avec Hypo Gotham, sympathique mammifère à l'énorme cul. Voilà, j'avais envie de détendre l'atmosphère après ce dernier paragraphe.

 

Faites de belles choses les jeunes nous dit-il en partant. Et il poursuit dans un sourire : moi je vais écrire la biographie de X. X étant cette femme dont j’ai oublié le nom et dont il a admiré l’intelligence et la diplomatie. Il éveille le mien, de sourire.

 

Ne pas, ne plus, ne plus jamais s’arrêter au costar dans mon appréciation des personnes que je rencontre. Et faire l’effort de les rencontrer vraiment.

 

Fin de la traversée.