Ecritures

Carnet de bord - une petite souris
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16 - Une interruption

16/06/2014

Voici plus de deux mois que je n'avais rien posté sur ce blog. J'ai senti comme un manque. Un manque de quoi tiens ? 

 

Le blog permet de formaliser une partie des pensées pour 

1 / En faire l'analyse

2 / mieux s'en débarasser

Comme tout lieu de stockage, le cerveau a besoin d'un petit rangement de temps en temps, et d'un dépoussiérage. Plus ce lieu est le théâtre d'activités nombreuses, plus le nettoyage doit être régulier. je constate qu'après deux mois, j'en ai besoin. 

 

Il existe d'autres moyens de mettre de l'ordre dans ses pensées : l'écriture perso par exemple. J'ai passé une semaine à aller remuer le passé, les éléments génants, bloquants, dérangeants et aussi amusants. C'était il y a un peu moins d'un moi. j'ai pu écrire ainsi environ 8h par jour (il y a des moments où l'énergie afflue) et ranger un paquet de merdier. 

 

Le manque d'écriture sur le blog pèse donc pour une autre raison que le simple rangement / délestage. Même si personne ne lit ce machin, j'ai besoin d'exprimer ce que je fais, et pourquoi je le fais. C'est un besoin naturel, au même titre que celui qui me fait pisser à côté de la cuvette (c'est bien plus rigolo). A trop le réprimer, je ressens un besoin immense de m'exprimer sur ce que je fais, comment je le fais, et je peux tenir de longs monologues qui ne sont sans doute amusants que pour moi. 

 

Alors il y a quelques minutes, j'ai relu ce long article sur Matrix, article très imparfait, première ébauche d'un travail qui va surement me prendre beaucoup de temps. Je l'ai un peu arrangé, pas trop non plus, et je l'ai publié. Qu'est-ce que je risque après tout ? Personne ne me lit ;-) C'est l'immense avantage de l'anonymat : on peut faire ce qu'on veut, ça ne change rien. C'est aussi l'immense inconvénient de l'anonymat si on a envie de faire bouger les lignes. 

 

Quelques secondes après avoir fait publier, j'ai commencé ce petit texte. 

Comment vont les souris ? 

 

Les souris vivantes qui habitent ma cage ne sont maintenant plus qu'une. je soupçonne mon colocataire de s'être amusé avec l'autre pendant son barbecue. bien sur, je n'en saurai jamais rien. il niera en bloc et on sera bien avancé. Paix à son âme, car je pense bien qu'elle est morte. l'autre s'ennuie comme une souris dans sa cage. je me demande bien laquelle des deux a eu le destin le plus favorable. Le karma sutra si j'ose. 

 

Les autres souris et moi même entretenons une relation mouvementée. Comme je l'expliquais plus haut, je leur ai fait une petite infidélité avec une forme d'écriture toute différente : une écriture toute personnelle. Pour la petite histoire, j'ai noirci pendant le mois de mai 200 pages environ qui tournent autour de mon nombril, de mon enfance, de l'adolescence, etc. C'est difficile d'expliquer pourquoi exactement. Le besoin s'en est fait ressentir, simplement. Il y a une continuité dans la vie. je suis le même que celui que j'étais quand j'avais deux ans et que je suis tombé d'une voiture, quand j'avais 8 ans et que j'ai roulé ma première galoche, etc.

Le même. Et fatalement un être qui a accumulé un tas de choses. Des choses positives,bien sur, et d'autres qui gênent, à force, et dont il faut bien se débarasser un jour. J'ai pris une semaine pour ranger, ma tête, mon bazar, enlever les clous plantés dans le sol et que je heurtais à chaque fois. Bien sur il reste de la merde : aucun rangement n'est parfait. Aucun dépoussiérage n'est définitif.

Disons que c'est mieux. 

 

J'ai poursuivi l'écriture, un peu ; j'ai poursuivi les ateliers avec les zigues aussi. En lisant, j'ai identifié une incohérence. j'avais alors écrit une cinquantaine de pages et je lisais plus ou moins la vingtième. Sans tout remettre en cause, cette incohérence nécessitait une modification assez importante dans la structure de l'histoire. Je n'aime pas revoir ainsi de nombreux éléments. C'est inefficace. j'ai donc cherché un moyen d'éviter ce genre de choses. Eh oui, il y a toujours un ingénieur en moi. 

 

J'ai décidé de reprendre l'histoire du début et de la lisser. L'histoire était jusqu'alors un premier jet, et j'ai noté à quel point je la modifiais. A la relecture, elle a pris un relief nouveau. J'ai créé des passages entiers, des passages dont je n'avais aucune idée. J'ai laissé l'instinct faire sa route. C'était d'autant plus facile que la suite de la structure m'était connue. 

 

Après avoir relu une partie de l'histoire, j'ai été très pris par d'autres activités. Je travaille à la création de mon activité future qui tourne autour de l'écriture. je suis un bel atelier à raison de 3 à 4 jours par semaine. C'est prennant. Ajouter à celà la recherche d'un appartement et la préparation d'un concert en mode "dernière minute", et vous obtenez un temps relativement faible pour travailler. 

 

J'ai repris le boulot la semaine passée, et j'ai décidé de m'axer uniquement sur la construction d'un scénario. 

j'ai choisi de ne pas détailler le récit, mais d'avoir uniquement les grandes lignes de l'histoire. Disons plutôt les moyennes lignes. j'ai les grandes lignes en tête depuis un moment. aujourd'hui, je travaille de manière chronologique à la création d'une structure plus fine. Je fais avancer l'intrigue, et ça avance bien. 

L'histoire ne prend pas autant de cohérence que lorsque j'écris tout, mais la structure avance vite, et c'est ce dont j'ai besoin aujourd'hui : me sentir avancer. En outre, je ne sais pas encore quelle est la forme finale que prendra mon histoire : roman ou film d'animation ? A choisir, je préfère faire les deux. Ma formation m'a permis d'identifier des financements pour les scénarios. j'ai donc choisi de privilégier ce format en premier, et de passer à une rédaction plus fine ensuite. 

 

L'écriture de scénario me plait. C'est une activité qui mobilise complètement les pensées, et qui oblige à se mettre à la place des personnages. Jusqu'à ce que ceux-ci prennent leur autonomie.

Le plus dur là dedans est sans doute de réussir à faire la passerelle entre la créativité débordante et chaotique d'une part ; et une écriture ordonnée de l'autre. Il y a un pont à réaliser qui n'est pas facile à franchir et qui me rappelle inévitablement un autre passage similaire. 

Celui qui s'opère quand j'écris un rêve. 

15 - Apprentissage : Matrix et la Caverne

26/04/2014

15 - Apprentissage : Matrix et la Caverne

Introduction. 

 

  • Plusieurs événements ont propulsé ce texte. Il y a eu mes voisins qui discutaient du mythe de la caverne et un d'eux qui expliquait que c'était le mythe du complot et que, si ça se trouve, il n'y a rien en dehors de la caverne. Bon, ils avaient fumé, et j'ai trouvé ça pénible que quelqu'un réduise à ce point une histoire fondatrice, un superbe symbole de la prise de conscience. 

 

  • Mon colocataire propose parfois de regarder des films. Nous nous étions accordés sur Matrix, le premier, pas les extensions artificielles et commerciales que constituent les 2 et 3.

 

  • Réduire le mythe de la caverne à une bête fable manipulatrice me rend triste. Platon se retourne dans sa tombe, sa platombe, je le sais je le sens sans même une virgule entre les deux. 

 

  • Et Matrix est une merveille dans sa réalisation et dans son récit. 

 

  • Une petite souris est peut être un mythe de la caverne

 

 

 

 

 

1. Le mythe de la caverne

Le mythe de la caverne donc. Une version sans effets spéciaux de Matrix.

Et sans Keanu Reeves. 

Ni les lunettes très classes de Morpheus.

Une version écrite par Platon dans "La République".

 

Résumé

Dans le mythe de la caverne, des hommes, depuis leur Naissance et jusqu'à leur mort sont plongés dans l'obscurité d'une caverne et enchaînés. Ils ne voient que du noir, des ombres qui proviennent du feu un peu plus haut dans la caverne. Un d'eux est déchainé, sort de la caverne, et après avoir été bien aveuglé par la lumière du soleil, il parvient à distinguer le monde extérieur : le soleil, les oiseaux, etc. il revient et explique à ses congénères qu'ils ont vécu dans l'erreur. Ceux-là ne supportent pas et le tuent.

 

Ca lui apprendra à découvrir une vérité que les autres ignorent. 

 

Source : http://philosophie-novarese.blogspot.be/2012/12/v-behaviorurldefaultvmlo_30.html

 

 

2. Matrix - comparaison de la libération - libération de la comparaison


Le personnage principal de Matrix a aussi a une vie de merde dans son cubicle, sous le nom de Mr Anderson. Il est un employé médiocre dans une boite qui le dépersonnalise. (Intéressant effet de caméra qui montre à quel point l'univers est bouché par ici).

 

En tant que Néo, il est un hacker de génie,  Pourtant, dans le milieu du Hack, du Hacking, des Hacker, c'est une légende, capable de cracker des logiciels avec la fiabilité d'une horloge Suisse.

D'aucuns l'appèleraient le "Hacker-coucou". (coucou)

 

Mr Anderson et Néo

 

Une différence notable est que dans Matrix, le personnage qui va voir la lumière n'est pas libéré "d'office" comme disent les belges. Un choix lui est offert, par Morpheus qui, avant lui a été libéré.

C'est le moment de la pilule. Un moment assez dur à avaler en fait. C'est un choix difficile et Néo est prévenu : sa vision du monde va changer radicalement. Du tout au tout, comme Audrey. Néo va sortir de son petit monde pour découvrir une vérité qu'il ignore, qui va tout changer. En écriture de scénario, on appelle ça le point de non retour. Rien ne sera plus jamais comme avant. 

 

Et vous, vous prendriez laquelle ?

 

Cette notion de choix est très importante dans Matrix qui nous délivre à peu près le message suivant : découvrir la vérité n'est pas facile, et cela relève avant tout de la volonté de chaque individu, de sa curiosité et de la lassitude et du désintérêt qu'il éprouve pour le système actuel. Intéressant aussi de noter que Morpheus et ses potes éveillent l'intérêt profond de Néo, sa curiosité.  

Voilà pour la comparaison de la libération : forcée dans le mythe de la Caverne vs choisie dans Matrix. 

 

Alors, pourquoi la libération de la comparaison mentionnée dans le titre ? 

Néo accepte de mener une vie unique, de suivre une aventure dont il ne connait pas le trajet. il sait seulement que c'est cette route qu'il doit prendre. Il le sait veut dire : 1/ qu'il le sent et 2/ qu'il fait confiance à son intuition. Cette intuition est renforcée par tous les chouettes zigues qu'il a rencontré du côté de l'armée du bien, les moins chouettes de l'autre côté sont pour l'instant l'agent Smith la méchante pieuvre nombriliste.

Et son patron. 

 

Néo ne sera plus sur le même plan : il suivra son destin, ses envies, sa voie intérieure et sa voie extérieure, alors que les autres suivront le système, la Matrice.

 

 

3. Images de la caverne

Les images utilisées dans Matrix sont très significatives : de grandes tours de verres opaques, des cubicle, des costars identiques... Le conditionnement et l'enfermement de la Matrice s'insinue jusqu'aux lieux qui sont créés et aux habits qui sont portés. C'est une version plus subtile de la caverne qui figurait simplement un grand trou sombre. 

Ce n'est pas sexuel. 

 

La force de la Matrice et de la caverne, c'est qu'on ne les perçoit pas. Pas du tout. Et, si dans le mythe de la caverne le décor nous semble à nous, homo sapiens qui sommes depuis longtemps sortis de nos cavernes (physiques), risible, celui de Matrix nous semble bien réel.

En effet : il l'est ! Et le grand coup de pied dans l'arrière train que j'ai reçu en regardant Matrix était celui là : c'est mon monde qui fut déconstruit, et présenté dans son machinisme, dans sa monstruosité. 

 

 

4. Images et reflets dans Matrix

Mon colocataire m'a fait à juste titre remarquer l'importance des reflets dans Matrix. Par exemple, si les lunettes de Morpheus permettent à Néo de se voir complètement, comme un miroir, celles de l'agent Smith ternissent son reflet. Symbolisons un peu ce discours : Néo ne se retrouve pas dans la version de lui même que lui renvoie Mr Smith. C'est une image incomplète, une image qui l'oblige à effacer une partie de lui même : cette partie instinctive qui lui dit d'aller chercher autre chose que sa vie d'employé de bureau dans un cubicle. 

 

Après avoir avalé la pilule, Néo touche un miroir, tiens tiens. Et le miroir recouvre ses doigts, sa peau, et bientôt l'ensemble de son être. Il pénètre dans sa bouche et lui renvoie, lui permet de voir ce qu'il est vraiment : du combustible pour un système qui fait vivre des machines. 

 

 

5. Le fonctionnement de la caverne

Dans le mythe de la caverne, aucune description n'est faite de ce ou de ceux qui ont contraint l'humanité dans la caverne. On en connait ni leur but ni leur mode de fonctionnement. Et là encore, Matrix va un pas plus loin.

 

Dans un premier temps, Matrix nous présente l'humanité parasitée par des pieuvres électroniques et un incroyable système de production qui transforme la vie en piles électriques. La notion de parasite est très importante : ce n'est pas la dernière fois que je l'utiliserai. Un parasite est une forme de vie qui "suce" la vie de son hôte pour assurer sa propre survie.

 

Source : Voyage au Népal de l'auteur. Mes jambes assaillies par des sangsues. 

 

6. La raison d'être de la caverne

De quoi nous rendons-nous compte, au fur et à mesure du film, en regardant ce brave agent Smith, le principal adversaire de Néo ? Quelle est la fonction de ce parasite ? Et quel est son fonctionnement ? 

 

L'agent Smith est doué d'émotions !

Il a franchement les boules de l'humanité et de toute sa merde : il veut en finir une bonne fois pour toutes. Faire cracher les codes pour détruire Zion et toute l'humanité libre, et à cause de celà, il va commettre une grossière erreur. Celle de quelqu'un qui a des émotions.

C'est la scène du tête à tête entre Morpheus et Smith : l'interrogatoire. La torture. Smith n'aime pas la tendance de l'humanité à se répandre comme un virus, à croître dans le chaos en détruisant tout ce qui se trouve autour d'elle. Tiens donc, c'est un peu actuel comme préoccupation ça.

Non, il n'aime pas ça. Et cette notion d'une machine qui n'aime pas est fondamentale : ce n'est pas une machine ! (Je rappelle que Wall-E est une fiction).

 

L'agent Smith est un adversaire pour l'humanité qui se bat, au fond, pour la même chose que Néo et Morpheus : il veut une vie plus belle, plus simple, et il veut que ce bordel s'arrête. Smith est en colère, terriblement, encore une émotion, et c'est cette colère qui le perd petit à petit. Il se coupe du réseau de communication en enlevant son oreillette, et il permet à Néo et Trinity de progresser dans leur combat. S'il s'était pointé dès leur arrivée, l'issue du film eut été probablement moins drôle, et le film eut connu un succès moins retentissant. 

 

Smith, personnification de la Matrice, a en fait une seule fonction dans l'histoire : permettre à Néo de se dépasser, de s'accomplir, de devenir un être confiant en lui même sans être complètement arrogant, un homme qui aime sa (superbe) femme, qui se batte pour une cause noble, etc.

 

7. Point symbolique 1 : une unité personnelle dans la diversité des personnages


On peut voir Matrix comme l'histoire d'un seul homme, Néo, et de tous ces démons et de ses alliés intérieurs. 


  • Ce processus est ce que Jung a appelé l'individuation, et 
  • Smith est une des représentations de l'ombre de Néo : il est là pour le faire avancer. De même, le traître est une représentation de l'ombre de Néo : il l'attire vers la peur, vers la tristesse de leur vie d'hommes libres. 
  • Miss Lapin blanc, et surtout Trinity représentent son âme : courageuse et engagée, elle ne peut pas vaincre Smith toute seule. Elle peut, au mieux, lui échapper. 


Smith se bat pour le même chose que Néo, mais d'une manière très différente : il est du côté de la destruction - Néo et les autres sont dans la voie de la création. Bien sur, ils sont en guerre, ils ne peuvent pas laisser le parasite faire et ils doivent le combattre. Au delà de cette lutte, on constate les techniques utilisées par les deux camps, et qui sont reprises dans de nombreux films. Matrix, comme le seigneur des anneaux et Star Wars est très manichéen. Il peut y avoir une plus grande subtilité / complexité dans l'arrangement des caractéristiques créatives et destructives au sein de chaque personnage. 

 

8. Point symbolique 2 : une unité symbolique dans une diversité d'histoires

 

CréationDestruction

Solidarité

Initiative (parfois individuelle) vers un but commun

Sacrifice personnel au service du collectif

Humour

Espoir conscient que le mieux est possible

Instincts maitrisés

La réalité

Etc

Hiérarchie

Initiative (parfois commune) vers un but individuel

Sacrifice collectif au service du personnel

Cynisme

Désespoir inconscient de toute amélioration

Instincts refoulés

Le fantasme

Pas etc (l'opposition va jusque là !)

 

 

Smith est partout, il peut prendre l'apparence de n'importe qui, de tous ces moutons qui vivent dans la caverne. 

 

Je vois Smith comme l'allégorie de l'indifférenciation personnelle. 

Et je m'arrêterai là dessus parce que je trouve que ça claque comme conclusion. 

 

14 - Premier extrait

01/04/2014

‘Spleurk’ et ‘sbloutch’ aussi.

En une pression sur les abdominaux, une anonyme vient de mettre bas. Sa vulve béante s’offre à la vue des nurses en contrebas. Un toboggan les sépare.

- Quinze lardons ici hurle une nurse en direction de ses collègues.

Les ‘lardons’, des souriceaux roses et aveugles jonchent le sol en s’étirant dans des mouvements mal assurés. Au dessus, l’anonyme est vidée. Elle vient de perdre un tiers de sa masse et la plupart des âmes qu’elle a fabriqué et transporté depuis les trois dernières semaines. C’était pas trop top. La pression sur son ventre devenait forte et surtout, aucun mâle ne l’a entreprise depuis 3 jours.  

 

- Tiens ? se dit-elle.

Il reste en fait deux âmes à habiter son corps. La sienne, rance et à bout de force, et celle là. Une âme minuscule et peureuse qu’elle ressent mieux, maintenant, loin du brouhaha de sa portée. Elle est blottie dans un coin de son ventre, et semble accrocher des griffes inexistantes à un repli quelconque de son intérieur. Elle observe un instant ce pincement, un pincement dans ses entrailles. Pas au cœur.

- Sors de là toi, ordonne-t-elle en poussant avec les forces qui lui reste.

Faire place nette à l’intérieur devient urgent. Elle sent au creux de son corps les chaleurs qui la consument. Consommer un mâle, n’importe lequel. Même un dégénéré, pourquoi pas un dégénéré ? Il parait qu’ils font ça avec sauvagerie. Dommage que ce soit interdit : les portées issues de dégénérés produisent souvent des rebuts. Des lardons difformes. Des allumettes ou des bouts de lard, c’est selon. Certains restent aveugles toute leur vie, d’autres restent morts. Toute leur vie aussi. Mais quelle différence quand on balance tout ça depuis le haut d’un toboggan. Elle n’a pas cessé de pousser depuis. Une veine bleue zèbre son front et soulève ses poils. Son museau porte les traces de l’effort.

- C’est qu’elle est coriace… la petite pute.

L’anonyme entame alors une savante danse du ventre. A l’intérieur, un être terrorisé hurle qu’elle ne veut pas sortir. Elle était bien à l’intérieur jusqu’alors, blottie contre ses frères et sœurs. Et voilà qu’ils sont tous partis. Qu’elle est seule. Qu’elle ne sait pas ce qui l’attend dehors. Et que son chez soi se met à bouger. Qu’il veut la chasser.

- Dégaaage, merde.

 

L’immense contraction de la ceinture abdominale emporte tout sur son passage : une souris femelle dans les affres de l’angoisse et un chapelet de crottes. Tous glissent gaiement dans le toboggan.

- Ah, non, 16. Il y en a une qui s’accrochait dedans. Magnez-vous merde, il y a du taf.

Une autre nurse, une grosse au poil gris arrive en renfort. Elle regarde la scène et toise sa collègue.

- Anna, tu aurais du dire : « Magnez vous taf ! Il y a de la merde ! »

- Comme si c’était la première fois.

- Oh la haut ! Il y en a d’autres qui attendent. Merci pour votre production, et laissez nous faire notre travail maintenant. Toi le débile, vient nous déblayer ce bordel.

 

Au son de débile, l’anonyme en haut tourne le dos. A côté du tas rose à points noirs et marrons, les yeux et la merde, une souris aux pattes avant atrophiées s’approche. Son épaisse moustache rase le sol. Il contourne le petit tas rose et balaie les déjections non vivantes. Ses délicates vibrisses caressent les petits corps inquiets. Ca les chatouille. Ils sont mignons. Le débile s’en va avec un souvenir ému de ces petits êtres ancré pour toujours au fond de sa mémoire. Et un autre, de leur mère, entremêlé dans ses moustaches trop fournies et trop proches du sol pour ne pas faire de lui un formidable engin de nettoyage. Quel dommage que son handicap n’ait pas aussi touché son odorat. Il est devenu expert en nuances fécales et en fragrances utérines. Si seulement il était né Grenouille et pas souris.

 

- Va mettre ça plus loin, dé-bile crache la grosse.

- Merci Edwy dépose Anna sur son passage.

Ouai, un débile, pourquoi pas un ramasse merde. C’est sale, et terriblement excitant. Ils ne doivent pas être trop durs à séduire. Il suffit de leur souffler un coup dans les vibrisses, d’approcher un peu l’arrière train de leur museau et ça lance la machine à défourai…

- Je t’ai déjà dit de dégager la haut. Ta production est entre de bonnes pattes. Dégage. Dé-ga-ge.

Dommage que je n’ai plus rien à chier se dit la souris là-haut en regardant la grosse. Sa queue se rabat sans conviction et recouvre un orifice soumis à rude épreuve. Il en verra d’autres. L’anonyme jette un coup d’œil sur sa droite. Des dizaines de livraisons, de pontes, de déjection s’enchainent. Il y a du monde aujourd’hui. En dessous, les toboggans, les nurses, les nettoyeurs. Et des centaines de morceaux roses à points noirs. Des piles pour alimenter la souricière.

La livraison est faite. Elle doit vaquer. Ses pattes tremblantes se décollent du sol.

 

Tu parles d’un boulot…

 

 

***

 

3 références à mentionner :

- les onomatopées sont inspirées du vidage d'une boite de ravioli. Merci à mon sponsor. 

- Grenouille pour Jean Baptiste Grenouille dans le pafum de Patrick Suskind. 

- J'ai été inspiré par la moustache d'Edwy Plenel, fondateur de Mediapart

12 - Pour Candice

30/03/2014

Il y a des soirées comme celles-ci, 

Des soirées où on se retrouve pour parler de chorégraphies. 

Nous cherchons, le front plein de soucis, 

Des mouvements pour under the sea. 

 

Les soucis viennent aussi du Front

National qui progresse,

Signal de détresse

D'un monde qui fait pinpon. 

 

Pimpants sont les Japonais, 

Sur une vidéo qu'on parvient à saker, 

On s'inspire gentiment de leurs gestes, 

Mais juste un doigt. Vous voulez pas un whisky d'abord ? Disons juste un geste. 

Une méchante copie

Deviendrait Under the Sushi.

 

La création est coupée par des messages qui étonnent, 

détonnent, 

ramonent, 

chamboulent. Non, ça rime pas. 

 

Mon papier peint intérieur gondole, 

Ca sent les égouts de Vénise,

Mes planchers pourrissent. 

Les portes rétrecissent,

J'oublie mes devises.

Les WC décollent.

 

Instant. 

De flottement. 

 

Une voix me tire vers la surface. 

Une anti-sirène, minuscule, (attention, rime en "ule" !)

Me fait face, 

Me tire des tentacules. 

 

En guise de bouche à bouche-dégoût, 

Elle me livre un kilo de Milgram, (Je suis très fier)

Du carburant pour mon "tout", 

De la magie pour mon programme.

 

La force noire de l'obéissance, 

Celle d'une vie qui perd son sens, 

Quand parce que l'autorité nous le dit,

Nous appuyons sur la gâchette à la face d'au-truie. 

 

Attention : âmes sensibles s'abstenir ! 

J'ai vu le même fonctionnement, la même noirceur, 

Un jour où je menais des recherches plein d'ardeur, 

Sur une de ces ressources dont internet s'orne, 

Une encyclopédie humaine baptisée Youporn. 

 

Un homme s'improvisait producteur, 

En lien avec le monde incroyable du cinéma, 

Des dames motivées et probablement dans l'embarras, 

Arrivaient à l'entretien bien à l'heure. 

 

Le scénario était bien ficelé, 

il demandait même une copie de la carte d'identité, 

Avant d'expliquer que pour que les producteurs puissent saisir l'étendu du talent, 

Elles allaient devoir le reprendre sur le divan. 

 

Et au dessus d'une origine du monde offerte et du saint dessin des seins, (pas mécontent non plus)

Tout ce que je voyais était le regard chagrin, 

D'une femme prise par contrainte

Dans une diabolique étreinte. 

 

La branlette espagnole d'habitude adulée,

Me laissa un goût de pile au mercure acidulée. 

Mon âme meurtrie dans un coin se retira, 

Pendant qu'avec horreur, elle se léchait les doigts. 

 

Elle. 

Avait tourné l'arme. 

Contre elle. 

Et,

avec elle,

les larmes. 

Voilà. C'est dit. 

 

Un petit passage sur le balcon,

pas celui où il y a du monde,

Et nous nous sommes remis en création, 

Chassant, à coups de volutes, l'immonde. 

 

Pinces de crabes et plongeons, 

Etoiles de mer et dictons, 

Volupté et c'qu'on est cons ! 

Alamodedecheznousleschouxplantons. 

 

Après avoir ramoné les cheminées à problèmes, (ce n'est pas sexuel)

Et récuré les gamelles à peine. (non plus, j'ai du mal à voir ce que ça pourrait donner)

J'ai enfilé mon casque étoilé, (toujours pas)

il était tard,

Et en vélo, en silence, en calme et en volupté. 

Je suis rentré. 

Il était temps. 

13 - Ca porte malheur d'habitude

30/03/2014

Nouvel atelier d'écriture, et première lecture de la nouvelle mouture de mon travail.

 

Mais avant celà, un petit changement dans mon attitude : j'ai assez bossé pour arriver serein à l'atelier. je ne ferai pas le coup du "oh non j'ai rien fait. Je vais travailler pendant que les autres lisent." Et quel plaisir d'écouter les autres et de partir un peu dans leur monde. Un peu ou beaucoup parfois. Benoît nous conseille de bien garder nos styles, tous si particuliers. J'ai envie d'ajouter : comme une extension de nos âmes. C'est très difficile d'expliquer pourquoi on a un style. Comment il nait. Pourquoi il est juste pour nous, et à quel moment il ne l'est plus. C'est tout aussi difficile que d'expliquer pourquoi on marche comme on marche, pourquoi on respire comme ça. 

 

Le style, parfois on l'emprunte un peu, on s'inspire de celui des autres, on s'enrichit en lisant, en écoutant, en écrivant. On recombine, on associe, on peaufine, souvent sans le savoir. Le style est une éternelle recherche. Notre plume ne cesse de pousser et nous n'avons de cesse de la tailler, de la sculpter, d'y ajouter des cordes, des couleurs, des formes et autres machins.

Et, dans la création de l'histoire, entre les idées qui se forment dans la tête et leur expression, c'est cette plume qui nous sert de télégraphe. Cet immense réservoir a mots tissé de rencontres, de conversations, de sensations. C'est un jeu semi-conscient : une partie est voulue, choisie, réfléchie. Et l'autre n'est que spontanéïté. 

Alors oui, nous devons garder nos styles comme nous devons garder nos âmes. Nos âmes d'enfants, nos âmes des annes 80, et âmes jusqu'au bout des seins. Â-âme, être une âme. Je m'amuserais beaucoup moins à l'atelier si tout le monde avait le style télégraphiques des petites annonces, celui des publicités, et même un style merveilleusement riche m'ennuierait à la longue si je n'entendais que celui là. 

 

J'entendais de vraiment belles choses dans ce bunker qui protège nos créativités des agressions du monde extérieur. Dans ce germoir où nos graines sont à l'abri des pigeons. Nous sommes dans une pièce sombre du sous-sol d'une grande maison. Il y a un peu de fouillis dans les pièces adjacentes. Nous sommes plongés dans la pénombre d'un lieu métaphorique. Sous terre. Ensemble. 

Nous en parlons après l'atelier avec Charlotte. Ce lieu est un espace d'ouverture où chacun peut exprimer ce qu'il a au fond de lui. On y entend parler de slips Tortue Ninja, de course contre la montre poétique, d'égarement sentimental, de recherche de sens, de mondes merveilleux, de la vie. Des gens. Et nous nous posons la question : pourquoi pas ailleurs ? pourquoi pas dans le monde de l'entreprise ? Pourquoi mettre ce masque social quand nous sommes en contact de patrons et de collègues ? Pourquoi un boss se permettra de dire à table "attention les filles, si vous mangez du gâteau au chocoloat au dessert, ça va aller directement dans les fesses." sans que personne ne réponde ? Pourquoi personne ne lui dira que c'est un sale con et que le dessert est très bon ? Que le cul des autres ne le regarde pas, pour lui demander ensuite comment ça va dans la vie ? A quel moment perdons nous notre style dans le système ? A quel moment nous travestissons nous ? Et pour quelle raison ? Qu'avons nous de si honteux à cacher ? 

Des émotions ? Des envies ? Quelle honte ? 

 

C'est une superbe troisième mi-temps d'atelier qui a été marqué par une autre production originale : des gargouillis. Pourquoi pas ? Un ventre produit le hurlement d'un monstre gentil. D'une anormalité douce. D'une particularité heureuse. Le gargouilli est un style d'expression à part entière. Il intervient à des moments de choix, prend diverses formes. Il se différencie dans les notes et la saveur, dans les harmonies et la couleur.

Rapport au style, revenons sur cette dernière phrase : la répétition de structure "dans... et"  et la rime en "eur" sont voulues. Je trouve que ça crée une belle rythmique, et un renvoi sonore chaleureux. J'aime l'idée d'associer un sens à un autre. Parler de couleur pour un son et de rythmique pour une image me ravit. J'aime profondément Kandinsky. J'aime aussi la gradation entre notes et harmonies. On passe d'un élément unique, la note, à un ensemble. Cette utilisation permet à la phrase de prendre de l'ampleur. 

Tiens, à ce sujet, j'ai commencé il y a quelques mois "l'art d'écrire une chanson" de Claude Lemesle. Merci Adrien. Il y a comme toujours des passerelles à construire entre les domaines. De la fibre optique à installer entre deux postes différents pour faire passer les informations, faire des parallèles, se transformer d'un côté pour mieux revenir de l'autre. 

Revenir et ne pas en revenir. 

 

- Qui veut nous partager son texte ? 

Quelle belle phrase. 

Je veux bien. Je dis que c'est long. Qu'il faudra peut être m'arrêter en cours de route : je risque de m'emballer. Comme une sorcière. En balai. J'ai relu mon texte avant de venir : j'aime ce que j'ai fait. C'est perfectible, mais il y a de la fraicheur dedans, et une manière de raconter mon monde qui me convient. Je suis en cohérence avec moi même. Je n'ai pas pris le style d'un autre. Je ne me suis pas travesti. Je n'ai pas accepté un commentaire désobligeant sur mon cul. 

 

Alors je lis, j'entends les rires un peu. Je ris aussi. C'est que ce monde est sordide. C'est que ce monde est possible aussi, serait possible si on oubliait de rire, d'en parler. Et ce n'est pas un monde complètement noir : il reste une lumière vacillante battue par le vent de la folie destructrice. Il reste un espoir, comme toujours. 

Après avoir remercié Benoit de m'avoir orienté vers le scénario, je reçois de sa part un commentaire qui me touche.

- Tu as osé. En particulier quand tu parles de nuances fécales et de fragrances utérines. 

 

Ce commentaire est d'une justesse, une nouvelle fois. Oser. Oser assumer son envie de s'exprimer. J'ai une liberté d'expression depuis toujours. Jusqu'à ce soir j'étais muselé. En partie au moins. Je parvenais bien à lâcher quelques jappements à droite à gauche. Et, dans le ventre de la terre, dans le sous-sol d'une vieille maison, je me réveille. Je me révèle. Parmi tous ces autres qui accomplissent le même chemin. Et les images évocatrices de slip tortue Ninja.